samedi 16 avril 2011

L'islam à l'école, en Alsace Moselle? En Autriche c'est déjà fait


Le pragmatisme autrichien comme modèle?

Mis en ligne le 25.11.2004 à 00:00

L'Hebdo; 2004-11-25
Le pragmatisme autrichien comme modèle?
Islam L'Autriche forme ses imams et finance des cours pour les enfants musulmans. Impossible d'importer cette recette en Suisse sans remise en question radicale, explique Titus Plattner.
Le modèle autrichien est-il transposable en Suisse? Secouée par l'assassinat du cinéaste néerlandais Theo Van Gogh, l'Europe entière se penche sur ses musulmans. En Allemagne, la droite exige une meilleure intégration de la communauté musulmane, tout en stigmatisant les lacunes dans la maîtrise de l'allemand des jeunes musulmans de la seconde génération. Et la gauche, elle, commence à douter de son idéal multiculturel. En Belgique, le gouvernement a décidé de mieux surveiller l'enseignement dispensé dans les mosquées, après qu'une sénatrice d'origine marocaine eut été menacée de mort par un Belge converti à l'islam. En France, sous l'oeil bienveillant du ministre de l'Intérieur Dominique de Villepin, le Conseil français du culte musulman va reprendre ses travaux avec, pour priorité, la formation des imams.
La Suisse n'a pas été épargnée par cette vague de remise en question. Du coup l'idée de former les imams dans notre pays a pris un nouveau tour. Dimanche 21 novembre, le porte-parole de la conférence des évêques suisses soutenait ce principe et la Fédération des Eglises protestantes appuyait cet appel dès le lendemain. Les jours suivants, on apprenait que pratiquement toutes les universités du pays songeaient ou étaient prêtes à examiner l'opportunité de mettre sur pied une formation de ce type. Mais sans trop savoir expliquer comment elles comptaient s'y prendre et tout en affichant plus ou moins explicitement leur embarras.
Presque naturellement, tous les regards se tournent donc vers l'Autriche, qui bénéficie, de par son histoire, d'une longue tradition dans l'intégration des musulmans. L'Université de Bâle a ainsi entamé des discussions exploratoires pour une collaboration avec l'Académie de pédagogie islamique (IRPA) de Vienne. Reconnue par l'Etat autrichien, l'académie a déjà formé quatre volées d'enseignants depuis sa création, en 1998.
Imam en six semestres Les étudiants de l'académie sont autorisés à dispenser des cours aux jeunes musulmans autrichiens ou à travailler comme imams, après six semestres. Il s'agit du seul établissement en Europe reconnu et financé par un Etat qui donne une formation officielle à des prédicateurs musulmans.
L'engagement de l'autorité politique dans cette institution a été très important. L'Autriche n'a pas attendu les attentats du 11 Septembre 2001 pour agir. En mai 2000, par exemple, lors d'un discours à l'IRPA, le chancelier autrichien Wolfgang Schüssel vantait en personne les mérites de cette formation pionnière: «Nous sommes devenus un modèle pour d'autres pays», constatait-il.
Même si, lors de l'élaboration du programme d'étude, l'académie de Vienne s'est appuyée sur le savoir-faire de l'Université Al-Azhar au Caire, grand soin a été pris de ne pas en faire une simple variante autrichienne d'une formation étrangère. «Nous voulions un cursus pour les futurs enseignants de religion musulmane avec une marque et une organisation européenne qui s'accordent avec les spécificités de l'Autriche», explique Anas Schakfeh, le président de la communauté des musulmans d'Autriche (IGGIÖ), très impliqué dans le projet. Le programme d'études comprend du reste une introduction au droit, un cours de civisme, de nombreuses heures de pédagogie et des stages pratiques.
L'islam expliqué aux enfants En plus, seul un tiers des cours de l'IRPA est dispensé en arabe. La communauté musulmane autrichienne, poursuit Anas Schakfeh, estime que le processus d'intégration des enfants nécessite une maîtrise parfaite de l'allemand. C'est pour cette raison que l'IGGIÖ a dès le départ opté pour des cours de religion islamique en allemand. «Nous avons toujours combattu des tentatives de centres islamiques isolés de donner les cours aux enfants dans une langue étrangère», assure-t-il encore.
En fait, depuis 1983, tous les enfants musulmans d'Autriche ont droit à une formation religieuse. L'IGGIÖ désigne et contrôle les enseignants et les enseignantes, l'Etat les paie. En 2001, 40 000 enfants répartis dans 2500 lieux ont pu bénéficier de 5000 heures d'enseignement par les 290 enseignants agréés. La création de l'IRPA n'est que la suite logique de cette politique. Récemment, deux écoles islamiques de Vienne ont été dénoncées dans la presse parce qu'elles utilisaient des ouvrages fondamentalistes. Mais celles-ci n'avaient aucun lien avec l'IGGIÖ et étaient financées directement par l'Arabie saoudite et la Libye.
Un autre signe du pragmatisme autrichien est la création d'un cimetière musulman à Liesing, au sud-ouest de Vienne. Les machines de chantier tournent à plein régime pour permettre son inauguration en été 2005. En tout, 2800 tombes devraient y prendre place. Jusqu'à présent, les musulmans étaient enterrés dans les cimetières municipaux, parfois dans des quartiers réservés, comme au Zentralfriedhof de Vienne. Mais leur capacité est parvenue à saturation.
Vieille tradition Avec 338 998 musulmans lors du recensement de la population de 2001, l'Autriche compte à peu près la même proportion de musulmans (4,2%) que la Suisse (4,3%). Comme dans notre pays, ils sont majoritairement originaires des Balkans ou de Turquie et pratiquent un islam plus sécularisé que les musulmans venus du monde arabe. Toujours comme en Suisse, la population musulmane a fortement augmenté ces dernières années. Mais la similitude s'arrête là. L'Autriche est héritière d'une longue histoire avec l'islam. En 1718 déjà, le Traité de Passarowitz garantissait aux sujets turcs des Habsbourg le droit de s'établir où bon leur semblait. Et le 15 juillet 1912, l'Autriche fut le premier pays d'Europe à reconnaître officiellement la communauté musulmane. En 1979, cette norme est même entrée dans la Constitution. Du point de vue du droit, la reconnaissance de l'islam en Autriche n'a pas d'équivalent ailleurs en Europe.
Tabou en Suisse En revanche, tout ce qui touchait aux pratiques religieuses musulmanes était considéré, en Suisse, comme relevant de la sphère privée et faisait l'objet d'un tabou politique jusqu'à ces derniers mois. Aucun canton ne reconnaît par exemple aux organisations musulmanes le statut de droit public, comme c'est le cas pour les catholiques, les réformés et, dans certains cantons, pour les juifs. Lorsque Zurich a voulu introduire cette reconnaissance, l'an dernier, le projet a été rejeté en votation populaire. Mais cette attitude retenue de l'Etat, qui se voulait pragmatique, montre aujourd'hui ses limites: que ce soit pour la formation des imams ou pour l'enseignement religieux aux enfants musulmans dans les écoles, la question d'une intervention étatique est désormais clairement débattue.
Dans le canton de Lucerne, un enseignement confessionnel pour enfants musulmans a été introduit dans les écoles publiques des communes de Kriens et Ebikon. L'expérience est menée depuis deux ans et les cours sont assurés par une Suissesse convertie à l'islam. «L'avantage est qu'on a ainsi une parfaite transparence sur la qualification de ceux qui donnent ces cours et sur les moyens pédagogiques qu'ils utilisent, ce qui est moins le cas pour les cours dispensés dans les centres de prière», explique le théologien et juriste Erwin Tanner, de l'Institut du droit des religions de l'Université de Fribourg.
De manière plus fondamentale et concernant la formation des imams, Erwin Tanner estime qu'il sera impossible d'ouvrir en Suisse une faculté ou une chaire de théologie islamique, tant que les cantons n'auront pas créé la base juridique claire. «Qui finance cette faculté? Qui peut enseigner le droit islamique dans une université suisse? Quel serait le contenu des cours pour une formation de théologien musulman? Ces questions doivent d'abord trouver une réponse dans la loi universitaire du canton concerné avant qu'un projet sérieux ne puisse voir le jour.»
Tant que ces questions n'auront pas été tranchées résolument, l'importation en Suisse du modèle autrichien ne serait que du bricolage. |
Collaboration: Alain Rebetez
Anas Schakfeh Président de la communauté des musulmans d'Autriche.
«Les cours de religion islamique aux enfants doivent se donner en allemand, pas dans une autre langue»
Anas Schakfeh, président de la communauté des musulmans d'Autriche


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